Jean 1:1
Jean 1:1
S'il est un verset cité systématiquement pour prouver la Trinité, c'est bien celui-ci.
Ce verset est rendu comme suit dans 98 % des traductions de la Bible que j'ai consulté :
"Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu." (Segond).
La Traduction du Monde Nouveau (TMN) des Témoins de Jéhovah (TdeJ) fait partie de ce petit 2 % des traductions qui rendent ce texte d'une manière ô combien ! différente. La traduction des TdeJ ne laisse personne indifférent. Au mieux les gens haussent les épaules, au pire ils crient au blasphème. Voici comment ce verset est rendu dans l'édition révisée de 1995 : "Au commencement la Parole était, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était un dieu."
Inutile de dire que cette traduction fait énormément parler d'elle !
Pourtant, les TdeJ ne sont ni les seuls ni les premiers à traduire Jean 1:1 d'une façon aussi peu populaire. Voyez plutôt :
— 1808 "et la parole était un dieu" The New Testament, in An Improved Version, Upon the Basis of Archbishop Newcome's New Translation : With a Corrected Text. - London.
— 1864 "et un dieu était la Parole" The Emphatic Diaglott, par B. Wilson. - New York. - [texte interlinéaire].
— 1879 "et la Parole était dieu" La Sainte Bible - Nouveau Testament, par H. Oltramare. - Paris.
— 1908 "La Parole était d’essence divine." (La Sainte Bible , par L. Segond et H. Oltramare).
— 1925 "et le Logos était dieu" Pages choisies des Évangiles, par H. Pernot. - Paris.
— 1929 "et le Verbe était un être divin" Le Nouveau Testament, par M. Goguel, H. Monnier. Paris. - [Bible du Centenaire].
— 1976 "et de condition divine était le Logos" Das Evangelium nach Johannes, par J. Schneider. - Berlin.
— 1978 " et un dieu (ou : de nature divine) était la Parole "Das Evangelium nach Johannes, par S. Schulz. - Göttingen.
— 1979 "et un dieu était le Logos" Das Evangelium nach Johannes, par J. Becker. - Würzburg.
(Cliquez aussi sur les images pour agrandir).
Voila qui est plutôt déconcertant, vous ne trouvez pas? Un même verset pour décrire la Parole (Jésus avant sa venue sur terre) comme étant (au choix?) :
— Dieu
— dieu
— un dieu
— un être divin
— de condition divine
— de nature divine
— d'essence divine
Les questions qui nous viennent à l'esprit sont celles-ci : le texte originel autorise-t-il toutes ces leçons différentes ?
Quelle traduction interprète le texte originel et laquelle s'en rapprocherait le plus ?
Vous l'avez compris : l'exégèse (ou interprétation du texte) intervient ici. On ne pourra pas y échapper.
LE TEXTE GREC
En grec, Jean 1:1 dit ceci : «en arkhei ên ho logos, kai ho logos ên pros ton theon kai théos ên ho logos.»
Littéralement : «au commencement était la parole, et la parole était vers le dieu, et dieu était la parole.»
Que devons-nous noter? Une chose: le vocable traduit par "dieu" (théos) ne se présente pas de la même manière les deux fois qu’il apparaît dans ce passage. En effet, l’article ho (qui correspond à notre article défini "le") le précède dans le premier cas, mais pas dans le second. Qu'est-ce que cela change?
On trouve ce commentaire dans La Sainte Bible, traduite et commentée sous la direction de L. Pirot et A. Clamer: "Dans la phrase précédente, le mot Dieu était accompagné de l’article. L’absence d’article indique ici qu’il est attribut. Ce n’est pas un nom de personne signifiant le Père, mais un nom de nature signifiant que le Verbe a la nature divine."
Vous avez saisi? En adjoignant un article au nom, on désigne une individualité, une personnalité, alors qu’en utilisant un nom attribut au singulier, sans article et qui précède le verbe, on indique une qualité chez la personne. Quand théos (dieu) désigne la Parole, c'est un nom attribut (un nom attribut signale une caractéristique ou une qualité attachée au sujet). Elle nous renseigne sur la nature de la Parole et non sur son identité. En clair, la construction de la phrase nous indique ce que la Parole était et non qui elle était. Le mot théos, pour désigner la Parole, est bel et bien utilisé comme un adjectif.
Donnant lui aussi des précisions sur cette question, Philip Harner a fait pareillement ressortir que la construction grammaticale de Jean 1:1 est essentiellement adjective et qu'elle indique donc que "le logos a la nature de théos". Il a ajouté : "En Jean 1:1 je crois que la valeur adjective de l’attribut est si évidente qu’on ne peut considérer le nom [théos] comme défini." (Journal of Biblical Literature, 1973, p. 85, 87).
Après avoir donné une traduction de Jean 1:1c, "et Dieu (par nature) était le Logos", E. Haenchen explique : "Ici, ên, (était) est simplement attributif. Le nom attribut doit donc être étudié plus attentivement : théos n’est pas la même chose que ho théos (‘divin’ n’est pas la même chose que ‘Dieu’)." (P. 118).
En résumé : Dans la portion de phrase qui nous intéresse «et dieu était la parole», le mot grec théos (dieu) est un nom attribut au singulier placé devant le verbe ên (était) et non précédé de l’article défini (ho). Or, comme le dit Ernst Haenchen, le mot ên, (était) est attributif. Par conséquent, le nom attribut 'dieu' (théos) doit être étudié attentivement. Si l'on veut rendre correctement le texte grec il faut donc tenir compte de tous ces indices :
1°) l'absence de l'article devant 'dieu' (théos)
2°) le rôle attributif du verbe ên, (était)
3°) le rôle attribut du mot théos (dieu).
UNE TRADUCTION ORIENTÉE POUR APPUYER LA TRINITÉ ?
Une note de la Bible Annotée Neuchâtel à Jean 1:1 mérite réflexion. On lit : "La Parole était Dieu (...) — Il est vrai qu'ici le mot Dieu n'a pas l'article, dont il est habituellement précédé ; cette omission s'imposait, soit parce que le mot joue dans la phrase le rôle d'attribut, soit surtout parce qu'en l'écrivant avec l'article, Jean aurait identifié la Parole et Dieu, et effacé la distinction qu'il venait de faire en disant : "La Parole était avec Dieu."
Deux remarques. La première : cette note reconnaît le rôle attribut de la seconde occurence du mot "dieu" en Jean 1:1. Cela confirme encore ce que nous venons de voir. La seconde concerne la raison invoquée pour cette absence d'article : "En l'écrivant avec l'article, Jean aurait identifié la Parole et Dieu, et effacé la distinction qu'il venait de faire en disant : "La Parole était avec Dieu."
Livrez-vous donc à un petit exercice. Dans la phrase — Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu — voyez-vous apparaître une distinction entre le premier théos (dieu) et le second? Non? Honnêtement, moi non plus. Ici, la Parole = Dieu.
Et dans la phrase — Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était dieu — commencez-vous à percevoir cette distinction voulue par l'apôtre Jean? Sans doute.
Et dans celle-ci — Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était de nature divine — la voyez-vous d'avantage encore? Très certainement.
Comme vous le voyez, la traduction de ce verset n'est pas à prendre à la légère. A l'évidence, en évitant de mettre l'article défini devant le second théos, Jean indiquait que nous ne devons pas identifier la Parole à Dieu. Alors, si Jean a agit ainsi sciemment, pourquoi les églises chrétiennes cherchent-elles à tout prix a passer sous silence ce fait? Qu'en pensez-vous? Un traducteur honnête peut-il faire comme si aucune distinction n'existait, dans le texte grec, entre les deux théos?
Personne n'est dupe. En traduisant le mot théos de la même manière, les deux fois qu'il apparaît en Jean 1:1, on identifie la Parole au Dieu Tout-Puissant. On peut donc dire que la leçon que l'on trouve dans 98% des Bibles actuelles — la Parole était Dieu — résulte d'une traduction avec exégèse ! Elle interprète les paroles de Jean dans le sens de la Trinité. Nier ce fait serait malhonnête.
SINON, QUELLE TRADUCTION POUR JEAN 1:1 ?
Nous avons vu de quoi un traducteur doit tenir compte quand il traduit ce verset biblique:
1°) l'absence de l'article devant 'dieu' (théos)
2°) le rôle attributif du verbe ên, (était)
3°) le rôle attribut du mot théos (dieu).
Il faut parvenir à montrer, d'une manière ou d'une autre, que le mot théos, qui désigne la Parole, a la valeur d'un adjectif, qu'il indique une qualité du Logos.
La leçon "la Parole était dieu" (avec un "d" minuscule) est une des solutions que l'on peut adopter. De même, traduire par "un être divin", "de condition divine" ou "de nature divine" a également l'avantage de signaler qu'il y a une certaine différence entre Dieu et la Parole, ou, en clair, que la Parole n'est pas identifiée au Tout-Puissant. Enfin, dans la leçon "la Parole était d’essence divine" on retrouve bien le rôle attribut du mot 'dieu'... Même si, il faut cependant le noter, le mot "essence" a été emprunté à la philosophie grecque (homoousios, en grec, signifie "de la même substance", "de la même essence"). Ce mot ne figure nulle part dans la Bible.
Toutes ces traductions ont bien le mérite de signaler au lecteur qu'il y a une distinction à faire entre Dieu et la Parole. Elles sont également suffisamment neutres pour être qualifiées de simples traductions, sans exégèse (ou interprétation du texte).
LA PAROLE, UN DIEU ?
Mais qu'en est-il de la leçon "la Parole était un dieu"? Le grec permet-il l'ajout de l'article indéfini "un" devant le mot "dieu"?
Oui, cela est tout à fait possible. On trouve de nombreux exemples de ce type de construction dans toutes les traductions de la Bible. Dans le texte grec il y a en effet de nombreux exemples de ce genre, c’est-à-dire des noms attributs au singulier, employés sans article et qui précèdent le verbe ; voir Marc 6:49 ; 11:32 ; Jean 4:19 ; 6:70 ; 8:44 ; 9:17 ; 10:1, 13, 33 ; 12:6. À ces endroits les traducteurs mettent généralement l’article indéfini "un" devant le nom attribut afin de faire ressortir la qualité ou manière d’être du sujet. Puisque dans ces passages on a employé l’article indéfini devant le nom attribut, on peut tout aussi valablement employer l’article indéfini "un" devant le théos sans article de Jean 1:1, ce qui donne : "un dieu".
Citons Marc 6:49 dans différentes versions : «Mais quand ils le virent marcher ainsi sur l'eau, ils crurent que c'était un [article indéfini ajouté par le traducteur alors qu'il n'existe pas dans le texte grec] fantôme substantif ou nom attribut, comme en Jean 1:1] et se mirent à pousser des cris.» Dans beaucoup d'autres versions — Parole de vie, Chouraqui, Osty, Maredsous, Segond, Annotée Neuchâtel, Ostervald, Martin 1744, Darby etc — on trouve également ici « un fantôme. »
Charles Dodd, qui a dirigé les travaux sur la New English Bible, a dit ceci concernant Jean 1:1: "Une traduction possible (...) serait: ‘La Parole était un dieu.’ Cette traduction mot à mot ne serait pas fautive."
Cet aveu nous pousse à nous interroger sur la manière dont la New English Bible rend malgré tout Jean 1:1. Nous lisons : "Au commencement de toutes choses, la Parole était déjà. La Parole demeurait avec Dieu, et ce que Dieu était, la Parole l’était."
Pourquoi le comité de traduction n’a-t-il pas choisi la façon la plus simple de le rendre? Charles Dodd répond: "La raison pour laquelle c’est inacceptable, c’est que cette idée est incompatible avec la pensée johannique généralement admise, et même avec la pensée chrétienne dans son ensemble." — Technical Papers for the Bible Translator, volume 28, janvier 1977.
Quelle est donc cette pensée "johannique [de Jean] généralement admise "? Et qu'elle est cette "pensée chrétienne dans son ensemble", qui tient compte de tous les auteurs divinement inspirés de la Sainte Bible? Il est encore trop tôt pour répondre. Mais nous pouvons dès à présent tirer certaines conclusions sur les différentes façon de traduire Jean 1:1.
IL FAUT TRANCHER
Pour être honnête, nous ne devons pas faire semblant d'ignorer ce que Jean voulait mettre en valeur en établissant une distinction entre le premier et le second "théos" de son verset. Le premier "théos" établit une individualité, une personnalité, tandis que le second indique une qualité chez la personne concernée.
Par conséquent, la version traditionnelle — "Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu" — peut à juste titre être considéré comme une traduction interprétative, dirigeant le lecteur vers la Trinité. Certains jugeront donc qu'elle est fautive puisqu'elle ne rend pas exactement le contenu du texte grec et porte de ce fait à confusion. C'est pourquoi ils lui préféreront une autre leçon, par exemple, "la Parole était dieu" ou "de nature divine".
La leçon "la Parole était un dieu" est la plus controversée mais elle est tout à fait possible du point de vue linguistique. Cette traduction soulève toutefois certaines objectons que l'on ne peut ignorer :
— Dire que la Parole est un dieu laisse entendre qu'il y a un autre dieu à côté du seul vrai Dieu, comme si nous nous trouvions en présence d'un grand Dieu et d'un autre, plus petit...
— La conclusion précédente semble vraiment s'opposer au monothéisme juif et chrétien tel qu'il est couramment admis.
Avant de continuer l'analyse des versets les plus souvent utilisées pour prouver la trinité, nous allons donc nous attarder un peu sur ces objections.